Baroumbar se sépare de Nalissia

La galère à la coque d’un rouge sombre de celui qui se faisait appeler le Faucon Ecarlate était d’une taille modeste. L’équipage hirsute était asiatique pour la plupart, le capitaine dont la barbe sale ne pouvait masquer le visage mangé par la vérole ne différait de ses hommes que par ses vêtements sombres brodés de motifs écarlates. Il conduisit le noble stygien, avec toute la maigre courtoisie dont il fût capable, dans une cabine étroite lambrissée de bois rouge, mais spacieuse si on considère la taille du bateau.
Le Prince Baroumbar se montra attentionné vis-à-vis du représentant du culte de Set, il le fit asseoir sur des coussins tissés de brocard rouge à côté de Nalissia, qui semblait aussi étrangère dans ce décor qu’un iceberg au milieu des steppes. ils devisèrent agréablement et Baroumbar raconta qu'il était né d’une mère zaporoskienne et d’un père du Nord lointain que jamais il ne connut . Il narra comment il devint le chef d’une tribu nomade et comment, par la terreur qu'il inpira, il en soumit et en extermina d'autres.
Une esclave effrayée, portant sur sa peau bistrée les marques cruelles du fouet vint avec une amphore. Elle ouvrit une commode laquée et remplit trois antiques coupes d'un vin sombre et les servit dans une coupe de bois adornée de pierres grossières pour Nalissia.
Pour le stygien une coupe d’argent finement ciselée qu’il décrivit comme étant celle d’un grand conquérant; Chungav, qui ne devint jamais roi bien qu’il érigea un empire aussi vaste qu’éphémère.
Et une coupe d’or aux anses comme les ailes déployées d'un faucon pour Baroumbar, celle que Chungav fit faire pour lorsqu’il deviendrait roi.
Baroumbar désigna, accrochée au mur, un antique bouclier de bronze sur lequel figurait un faucon des steppes, et narra l’histoire oubliée des mémoires, de Chungav, qui unit les tribus nomades et déferla sur les cinq cité tel un tsunami écarlate.
Baroumbar désigna un casque antique fixé au mur et conta le siège suivi de la chute d'Erdunakton la Vermeille, nommée ainsi pour ses murs maculés de sang, où s'étaient retranchées les Sept terribles Soeurs Siamoises.
D’un geste théatral , Baroumbar ouvrit une boîte laquée de noir et incrustée de rubis, l’ouvrit et exhiba, le regard perdu dans des rêves incommensurables de nations disparues et d’empires surgissant dans l’aube écarlate, un médaillon au profil de faucon d’or et dont l'oeil n'était autre qu'un rubis et ses profondeurs sombres de son rouge incarnat semblait dormir des secrets incommensurables. En transe, il se le passa autour du cou, restant immobile, le menton proéminant et les yeux fiévreux brûlant du feu de la conquête.
L’esclave servit à nouveau ce vin qui était capiteux et agréable au palais. Nalissia refusa d’être resservie, elle reposa sa coupe de bois et se sentant mal, demanda à sortir. Baroumbar lui sourit et d’un geste de la main la congédia mais ses yeux mi-clos étaient perfides. Il détailla ensuite comment le prince Chungav mourut empoisonné dans une yourte sans avoir pu réaliser ses ambitions, la conquête du monde, en buvant une coupe de vin qui ne contenait aucun poison mais la coupe dans laquelle il but était sculptée à partir du bois rare d’un arbre sur lequel pousse le fruit vénéneux qu’on appelle les pommes de Derketta.
L’esclave ramassa Précautionneusement la coupe vide de Nalissia la main protégée par un tissu. Le Faucon Ecarlate expliqua au stygien que tout ce qu’il a raconté était vrai et qu’il connaissait tout le passé de Chungav parce qu ’il l’avait lui-même vécu.
Un mage lui avait dit que certains hommes se souvenaient de leurs vies passées.
Soudain, le pont résonna de la clameur de cris et de hurlements d’agonie. le stygien et lui allèrent sur le pont où se tordait Nalissia, les armes à la main et couverte de sang qui n’était pas le sien mais déjà les yeux vitreux et la mousse écumante aux lèvres tandis que les ruffians, le sabre dégainé, formaient un cercle d’acier qui se refermait autour d’elle.
C’est alors que le stygien accourut vers la jeune femme.
La voix de Baroumbar tonna et les marins reculèrent, excepté quatre d’entre eux qui gisaient au sol. Baroumbar assista indifférent en apparence à la scène. "Pourquoi?" hurla le stygien qui connaissait la jeune Aesir. Elle avait failli, donc trahi et s’étant trop investi, il ne pouvait tolérer l’échec. Néanmoins, il permit au stygien de l’emmener, sans doute confiant dans la mort inéluctable de la jeune femme.