L'écriture est très petite, étroite, enfantine, brouillon, malgré le soin qu'on a tenté d'y apporter. Des pâtés d'encre macule parfois la feuille, mais l'écriture continue, nerveuse et très droite, emplie de fautes énormes... Un ruban de couleur relie les feuillets ensemble.
C'est cette femme, qui m'a donné cette plume près du feu, qui m'a demandé d'apprendre à écrire. Je suis pas très douée, alors je m'entraine. J'aimerai écrire des histoires, merveilleuses, de chevaliers héroïques, mais je n'en connais pas beaucoup. Je suis aussi incapable d'en créer, alors je raconte ici ce qui se passe dans ma vie si petite. Tant mieux qu'elle soit petite.
Plus elle est petite, moins il y a de chances qu'ils me retrouvent !
Voilà. Je m'appelle Iolenda. Je suis née peu après le solstice d'hiver, il y a quinze cycles de saisons. J'ai un mari qui est très bon avec moi, et mon bébé que j'aime. Westgnard, il m'écoute toujours, il ne me fait pas trop mal et il ne me tape jamais. Son frère, si, mais c'est que quand j'ouvre la bouche. Je ne dis que des bêtises quand j'ouvre la bouche, c'est normal qu'il soit agacé. Pourtant, j'essaie d'être franche, de pas trop mentir : s'il s'aperçoit que je mens, il se mettra vraiment en colère, je pense.
Parfois, j'aimerai éprouver de la colère. Contre les potions alchimique qui ont brisées ma voix, contre les mains que j'autorise à me toucher, contre moi, contre mes parents. Contre tout ce que j'ai fait et qui va provoquer ma mort, de ceux qui ont dit qu'ils allaient prendre soin de moi. J'aimerai les croire. J'aimerai vraiment les croire, mais j'y arrive quand même pas.
Dame Ashree surtout, Dame Jeyzabe, le seigneur Tehnvard, Westgnard, ils ont tous dis les mêmes mots. Mais ils ont déjà tellement de soucis... J'aimerai les aider moi-même.
Et tout ce que j'arrive à faire, c'est faire à manger et dire des mots qui ne plaisent pas. Ils ne me plaisent pas non plus, mais les rêves et les illusions, ça ne sert à rien, rien qu'à souffrir, plus fort que les coups qu'on peut recevoir.
Dame Ashree m'a emmené nous isoler, pour que je puisse tout lui raconter. Elle m'a fait don de robes très belles, des robes de dame, et quand je les porte, c'est comme si j'endossais une autre peau, très différente. Je ne sais pas si je devrais vraiment les mettre ; je préfère le faire quand je suis toute seule. Ou parfois, le soir, pour lui faire honneur. Elle m'a fait tout raconter, tout ce qui s'est passé à Zingara. J'ai pas pleuré, je suis pas tant une mauviette, mais je déteste vraiment parler de tout ça. Tout ça, c'est oublié, c'est du passé, ça doit le rester. A tout prix. Mais... depuis, ça ne fait qu'accentuer les cauchemars. J'aurai jamais dû parler. Ça provoque le mauvais sort.
Pourquoi je peux pas me secouer et devenir ce qu'ils veulent tous ?
Si j'avais pas promis à Westgnard d'être sa femme fidèle, je viendrai consoler Tehnvard. Il est vraiment beau, et doux. Et quand je le regarde dans ses beaux yeux, c'est comme s'il n'y avait plus que lui qui existait.